Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Histoires des îles Comores
19 février 2011

HISTOIRE POLITIQUE DE LA GRANDE COMORE AUX XIX° ET XX° SIECLES

La division de l’île en plusieurs sultanats entraîna des convoitises qui dégénèrent en guerres, affaiblissant progressivement l’autorité et le pouvoir du sultan thibé. A cette instabilité politique endémique se greffèrent, dès la fin du XVIII° siècle et durant la première moitié du XIX° siècle, les razzias malgaches, commanditées par des pirates européens à la solde de planteurs installés dans les Mascareignes (Réunion, île Maurice), achevant de ruiner l’île, menacée d’implosion.

Ces conflits internes et externes conduisirent les sultans à solliciter l’aide des puissances européennes et notamment celle de la France.

Avant le protectorat : sous le règne de Saïd Achmet (1813 – 1873)

La Grande Comore, non inféodée à Anjouan à la différence de Mayotte et de Mohéli, resta indépendante. Elle fut très proche cependant de Zanzibar dont le sultan s’avéra être un allié précieux du Royaume-Uni. Mais le sultan thibé Saïd Achmet sollicita, en 1844, l’aide du sultan d’Anjouan Abdallah et celle de la France pour affirmer son autorité de sultan thibé, sans cesse menacée de l’intérieur.

La France refusant d’intervenir (trop occupée à régler le statut de Mayotte achetée en 1841 et acquise en 1843), Saïd Achmet, livré à ses propres forces,  triompha de ses adversaires en 1852.

Après sa victoire, il réitéra sa demande de protection, pour consolider sa situation.  Mais la France déclina, à nouveau, l’offre du sultan. La fin du règne du sultan Saïd Achmet fut troublée par la révolte de Moussa Foumou, qui accéda au trône du sultanat d’Itsandra en 1861. A partir de 1867 et jusqu’en 1873, les deux sultans rivaux engagèrent une guerre pour la souveraineté de l’île. L’issue devait consacrer la victoire de Moussa Foumou en 1873 qui s’autoproclama sultan thibé de l’île. Déchu, Saïd Achmet, incarcéré dans la prison de son rival, devait mourir, probablement empoisonné, en 1885.

Cependant, avant de trépasser, Saïd Achmet, en sultan avisé, pris deux précautions :

  • D’une part, il créa et dessina certainement, le premier, l’Ordre de l’étoile de la Grande Comore afin de symboliser sa souveraineté sur l’île et de marquer de son règne, l’histoire de la Grande Comore
  • D’autre part, il désigna, le 15 avril 1875, dans une lettre adressée au commandant supérieur de Mayotte, son petit-fils Saïd Ali, comme « légataire universel et héritier du trône de Bambao ». Il réitérait ainsi une volonté qu’il avait déjà exprimée en 1870 avant sa défaite décisive.

Or, cette succession, exprimée au mépris des règles coraniques mais en conformité avec la tradition matrilinéaire africaine, provoqua des troubles graves et devait décider du destin de la Grande Comore.

Saïd Ali avant le Protectorat (1875 – 1886)

Saïd Ali, naquit en 1855 à Moroni, capitale de la Grande Comore et du sultanat de Bambao. Son père, Saïd Omar, allié de la France, ex-ministre de Salim (sultan d’Anjouan) s’exila à Mayotte, possession française depuis 1841 dont il avait favorisé l’acquisition.

Le « dauphin » Saïd Ali grandit donc, en exil à Mayotte où il reçut une « éducation française » qui en fit un prince parfaitement francophone.

En 1870, à quinze ans, rappelé par son grand-père, il rejoignit son île natale, pour lui succéder. Il assista, impuissant, à la défaite de son aïeul en 1873 et à son incarcération fatale organisée par son rival Moussa Foumou.

En 1875, à vingt ans, il dû s’exiler à Madagascar où il apprit le décès de Saïd Achmet. Les dernières volontés du Sultan faisant de lui le maître légitime de l’île ainsi que l’offre du sultan d’Anjouan, Abdallah, de mettre des troupes à sa disposition, le déterminèrent à combattre Moussa Foumou, son rival. Mais la France, depuis Mayotte, devait discrètement l’en dissuader. Il se rendit alors à Zanzibar où le sultan Saïd Bargache lui conseilla de patienter et de voyager.

Il voyagea, se rendit plusieurs fois à la Mecque et regagna Zanzibar où Saïd Bargache le retint habillement à la cour, une année.

Or, Saïd Bargache, vassal des Britanniques et allié secret de Moussa Foumou, conservait des visées personnelles sur les Comores. De plus, il s’inquiétait de la présence française à Mayotte. La prétention au trône de la Grande Comore d’un sultan francophone et francophile ne le rassurait point. Il fomenta donc un plan de paix en encourageant un mariage arrangé entre le prince Saïd Ali et une fille de son allié secret, Moussa Foumou.

S’assurant du soutien des sultans d’Anjouan et de Mohéli, Saïd Ali regagna l’île où son futur beau-père lui offrit le sultanat de Bambao. Mais ce n’était qu’un piège et Saïd Ali s’enfuit  pour revenir avec les troupes promises par les sultans alliés pour reconquérir le pouvoir.

 

Or, en 1883, Moussa Foumou se révolta. Mais grâce à l’aide discrète de la France, Saïd Ali comprima la révolte et repoussa une flotte anglo-zanzibariste, venue au secours de l’usurpateur.

La lutte entre Saïd Ali et Moussa Foumou avait durée 4 ans, de 1879 à 1883.

Au terme  de cette lutte « fratricide », la France devait rétablir, en 1883, Saïd Ali sur son trône avec le titre de sultan thibé.

Evidemment, au cours de cette guerre, la France et le Royaume-Uni avaient discrètement conduit « une guerre froide », par sultanats interposés. En effet, les Comores et les îles de l’Océan indien furent un enjeu particulier de la rivalité franco-britannique qui s’étendait alors sur tous les continents. Dans ce contexte de « guerre froide » l’interdiction de la traite relevait en fait de cet enjeu, en visant à ruiner l’économie des colonies rivales. Une stratégie employée tour à tour par la France et l’Angleterre.

Dans une lettre du 15 janvier 1883, adressée au commandant supérieur de Mayotte, Saïd Ali remercia la France pour la protection qu’enfin, elle lui avait  accordée.

Avec la protection, l’idée de Protectorat s’imposa. En effet, aux cours de ces événements, le sultan thibé Saïd Ali comprenant qu’il était menacé par les Britanniques et les Allemands, depuis Zanzibar, résolut de solliciter le Protectorat de la France « mon pays peut-être pris de force à un moment donné, dans ce cas, je préfère le donner à la France…

Le protectorat : Saïd Ali et Léon Humblot (1884 – 1893)

Dès l’arrivée de Léon Humblot, les Allemands tentèrent, en vain, de négocier le Protectorat. Le naturaliste, en qui le Sultan plaçait toute sa confiance, partit donc pour Paris solliciter le Protectorat. Or, le gouvernement déclina l’offre mais confia à son médiateur un traité que Saïd Ali signa.

Le Traité du 5 novembre 1885 stipulait que la Grande Comore ne pouvait accepter le Protectorat d’un autre Etat, sans le consentement de la France et proposait la concession à Monsieur Humblot de « toutes les terres qu’il voudra mettre en culture », en échange de la protection de la France. En fait, le traité du 5 novembre 1885 préparait habilement le protectorat en offrant au sultan la protection qu’il réclamait et en confiant à Humblot les rênes de l’exploitation de l’île.

Sans hésiter, Saïd Ali, par une lettre en date du 10 novembre 1885, avisait la Président de la République qu’il donnait tous les pouvoirs à Monsieur Humblot pour traiter avec le gouvernement de l’établissement de Français à la Grande Comore.

Si ce Traité permit au modeste naturaliste de se métamorphoser en diplomate avisé, d’improviser le rôle de Résident avant l’heure et de posséder la moitié de l’île, il souleva l’opposition des ministres du sultan et de son rival, le Prince Achimou, encouragé par les Allemands. Monsieur Humblot sollicita donc l’aide de la France qui réprima la révolte depuis Mayotte et rétablit la souveraineté du sultan.

Un Traité fut aussitôt signé, le 6 janvier 1886, entre Saïd Ali et le gouverneur de Mayotte, Monsieur GERVILLE - REACHE.

Par le Traité du 6 janvier 1886, Saïd Ali s’engageait à accorder une situation prépondérante et exclusive à la France dans les affaires de l’île et à ne traiter avec aucune autre puissance sans l’assentiment du gouvernement français. Par ailleurs, son Altesse, dans un souci d’assurer la paix intérieure, offrit de laisser subsister les cinq sultanats existants. En outre, elle remettait à la France le soin de régler sa succession, en cas de mort violente. Enfin, Saïd Ali confirmait les concessions ou autorisations d’exploiter données aux Français à la Grande Comore.

Ce Traité du 6 janvier 1886, qui conférait à la France une autorité dans les affaires intérieures et extérieures de l’île, instituait un projet de Protectorat.

Il fut ratifié par Décret du 24 juin 1886, promulgué à Mayotte le 30 août 1886 et communiqué aux cabinets anglais et allemands, en vertu de l’article 34 de l’acte International de Berlin, le 2 août 1886 afin de dissuader les convoitises de ces nations.

Le Décret du 2 août 1886 nommait, par ailleurs, le Docteur WEBER, premier Résident de l’île. Arrivé en novembre 1886, il occupa la fonction jusqu’en 1888. Très vite, il se heurta à l’hostilité de Monsieur Humblot.

Mais la révolte du Prince Hachimou qui tenta à plusieurs reprises, en vain, de détrôner le Sultan, devait offrir à Humblot le contrôle total de l’île. En effet, en novembre 1889, le poste de Résident fut confié à Humblot qui cumulait cette fonction, sans traitement, avec celle de directeur de la compagnie des Comores !

Cependant, l’impopularité de Humblot auprès des notables comoriens et de la population rejaillissait sur Saïd Ali, à qui il était reproché d’avoir livré le pays à un étranger et d’avoir asservi l’île à la France.

En 1890, Saïd Ali, détrôné au terme d’une insurrection populaire, dut se réfugier à Mohéli, puis à Mayotte. Son exil devait durer un an.

A son retour, en novembre 1991, Saïd Ali sanctionnait les réformes engagées par Humblot durant son absence par le Traité du 5 janvier 1892 qui rendait le Protectorat plus effectif. Et le 6 janvier 1892, Saïd Ali était rétabli dans son trône.

Le Traité du 5 janvier 1892 (qui ne fut jamais ratifié) supprimait les fonctions des ministres ainsi que les cinq sultanats, rétablissant les douze provinces, gérées par les chefs de villages et les douze Cadis, nommés et révocables par le Sultan, sur les conseils du Résident.

Or, ce traité, modifiant l’administration du territoire et le pouvoir exécutif du Sultan ne pouvait satisfaire Saïd Ali quelque peu trahi. Il devait pourtant garantir la paix et la sécurité du pays !  Or, Humblot fut l’objet de nombreux attentats manqués, lesquels, devaient altérer la confiance qui le liait au sultan. Humblot accusa le sultan.

Par décision n° 15 et 16 du 20 novembre 1893, le gouverneur de Mayotte prononçait la déchéance du sultan, transférait ses pouvoirs au Résident, ordonnait son exil à Madagascar puis à la Réunion et fixait sa pension.

Le dernier sultan de l’île venait d’être détrôné par une puissance alliée, sans effusion de sang et sur simple accusation de complicité d’attentat. Saïd Ali séjourna une dernière fois à Ngazidja en 1910 avant de se rendre à la France.

Le XX° siècle débuta avec une série d’événements qui devait mettre un terme à l’épopée de l’établissement du protectorat français en Grande Comore.

Monsieur Humblot, directeur de la société L.HUMBLOT et Cie jusqu’à sa mort en 1914, assura les fonctions de Résident jusqu’en 1896.

En avril 1899, la France abolit l’esclavage en Grande Comore malgré l’opposition des propriétaires indigènes.

En 1908, l’île était définitivement annexée à la France. En 1909, Saïd Ali remit une promesse d’abdication, assortie entre autres, d’une condition de réhabilitation.

En 1910, la France réhabilitait Saïd Ali et le nommait Officier de la Légion d’Honneur. Invité à Paris, pour l’occasion, Saïd Ali remettait au Président de la République son authentique acte d’abdication.

Rétabli dans ses droits et promu, plus tard, au grade de Commandeur de la Légion d’Honneur, Saïd Ali mourut à Tamatave (Madagascar) le 10 février 1916.

La tombe de l’ex-sultan fait face à l’océan sur lequel, en des temps très anciens, ses ancêtres seraient venus de la lointaine Perse.

Quant aux descendants, s’ils n’héritèrent point d’un royaume, ils eurent en charge d’intercéder auprès du gouvernement français pour officialiser l’Ordre de l’étoile de la Grande Comore.

De l’annexion de la Grande Comore à l’Indépendance (1908 – 1975)

Placée sous protectorat, le 6 janvier 1886, la Grande Comore était annexée en décembre 1908 et déclarée Colonie française par la Loi du 25 juillet 1912, soixante et onze ans après Mayotte.

Par Décret du 23 février 1914, la Grande Comore et les autres îles de l’archipel étaient rattachées à la Colonie de Madagascar « Madagascar et dépendances ».

Dès lors, l’intérêt que la France consentirait  aux Comores, devait se subordonner à celui qu’elle porterait désormais à la « grande île ». Autrement dit, la Grande Comore serait reléguée au rand de territoire subalterne.

En 1944, la conférence de Brazzaville, réunie par le Général de Gaulle, posait les premiers jalons de la décolonisation de l’Empire français. Les Comores ne recouvreraient  leur autonomie administrative et financière qu’à compter du 1° janvier 1947, par l’effet de la Loi n° 46 973 du 9 mai 1946 et du Décret d’application n° 46 2058 du 24 septembre 1946, instituant les DOM –TOM. La Loi cadre – Deferre de 1946 accordait le droit de vote à tous les citoyens de l’Union française et instituait les conseils de gouvernement élus par les assemblées territoriales qui votaient des représentants à l’Assemblée Nationale.

En 1958, lors du référendum, les Comoriens votaient pour le maintien de l’archipel dans la communauté française.

Toute la vie politique de l’après-guerre aux Comores fut dominée par la personnalité de Saïd Mohamed Cheikh, premier comorien député en métropole, puis Président du Conseil du Gouvernement de l’archipel, jusqu’à sa mort en 1970.

Le Prince Saïd Ibrahim, fils du Sultan Saïd Ali, lui succéda jusqu’en 1972. Il fut renversé, en raison de son opposition à l’indépendance immédiate.

Abdallah Abdéramane occupa alors la Présidence du Conseil du Gouvernement. Né en 1919 à Anjouan, futur premier Président de la République Fédérale Islamique des Comores, le « Père de l’Indépendance » devint Sénateur en 1959, et aux Comores, Président de la Chambre des Députés (ex Assemblée Territoriale). Abdallah, négocia avec le ministre des DOM – TOM un référendum d’autodétermination. Le Président de la République française Giscard d’Estaing (1974 – 1981) organisa la consultation dans l’archipel en décembre 1974.

Le « OUI » à l’Indépendance l’emporta mais l’Assemblée adopta une Loi reportant l’Indépendance, assortie de conditions qui mécontentèrent les Comoriens.

Le 6 juillet 1975, le Président Abdallah, proclama l’Indépendance unilatérale des Comores et ce faisant, signa l’acte de naissance d’un différend historique entre les Comores et Mayotte ; laquelle s’orienterait vers un destin séparé, mais arrimé à la France, condamnée depuis par les instances internationales (O.N.U., O.U.A.)

L’histoire politique de la Grande Comore, au cours des XIX° et XX° siècles nous renvoie à une interrogation séculaire : « Sont-ce les hommes qui font l’histoire ou est-ce l’histoire qui fait les hommes ? »

En Grande Comore, le sultan thibé Saïd Achmet, pressé par les invasions malgaches sort l’île d’une indépendance relative en s’aliénant  l’aide anjouanaise et  la protection française (1844).

Le dernier sultan, Saïd Ali, parachève l’œuvre de son aïeul, en négociant le Protectorat avec la France (1886) Puis, en abdiquant (1910), il accélère la colonisation de l’île et sa subordination à Madagascar (1912 – 1914)

Le processus historique de la décolonisation offre cependant aux dominés la possibilité de changer le cours de l’histoire. En effet, moins d’un siècle après la signature du Protectorat, Abdallah, l’anjouanais, proclame l’Indépendance unilatérale des Comores (1975)

A la suite des velléités séparatistes d’Anjouan en 1997, la République Fédérale Islamique des Comores se tourne actuellement vers une Confédération d’Etats conservant une relative autonomie comme si le destin des Nations, à l’instar de celui des hommes, était inscrit dans leur histoire. La Grande Comore était avant le protectorat relativement indépendante à la différence des autres îles de l’archipel.

La seconde partie consacrée à la famille « royale » et à l’Ordre de l’étoile de la Grande Comore décrit la personnalité des différents sultans et plus particulièrement celle de Saïd Ali dont le rôle, dans la création de l’Ordre, est primordial.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Histoires des îles Comores
Derniers commentaires
Publicité